Pour Martin Frigon, La Grande invasion s’inscrit dans la continuité d’une oeuvre qui cherche à lever le voile sur les ravages causés par le maldéveloppement. Après avoir examiné les dessous de l’industrie minière de 2002 à 2008, le réalisateur se tourne maintenant vers les Laurentides, haut-lieu de l’industrie récréotouristique qui affiche la meilleure performance économique du Québec. Mais derrière le boom immobilier, témoin de cette richesse, se profile une réalité moins réjouissante : une pression grandissante sur les populations locales menacées de dépossession par ce marché libéré de toute entrave.

Avec ce dernier documentaire, Martin Frigon prolonge sa réflexion sur l’avenir des régions, déplorant le grand vide qui sévit autour de la question de l’occupation du territoire au Québec. Une rencontre déterminante sur le terrain, une phrase en particulier, prémonitoire et magnifique, retiendra son attention: « Allons-nous devenir les amuseurs publics du jet set international dans notre belle région!? »

À l’origine, ce documentaire devait porter sur la destruction du patrimoine bâti dans les Laurentides sous la poussée de l’urbanisme à l’américaine. Mais sur le terrain, Martin réalise qu’un phénomène plus important gagne désormais l’ensemble du territoire: l’invasion des grandes surfaces (McDonald’s, Future Shop, Wall-Mart, Costco, Golf Town, Allstate, Brick, Costco, etc.) qui se répète de ville en ville, à la grandeur du continent, laissant derrière elle un désert culturel aux conséquences dévastatrices pour les population locales.

Confronté pendant des années à l’enlaidissement de sa propre ville natale en Outaouais, Martin Frigon questionne aujourd’hui les tenants et aboutissants de cette mouvance qui uniformise et élimine tout ce qui donne un caractère distinctif au territoire. Se rappelant les paroles de Pierre Perrault qui disait « la maison est peut-être le poème fondamental d’une culture », il continue à questionner nos modes de développement et se demande pourquoi nous sommes restés muets devant l’effritement de notre culture et de notre tissu social? Si le documentaire demeure le moyen privilégié par Martin Frigon pour dénoncer l’inacceptable, c’est à travers un traitement artistique plus ambitieux et l’utilisation d’animations impressionnistes, de musique en rupture avec les compositions traditionnelles et de mouvement dans l’espace qu’il aborde cette fois-ci son sujet.